Social


squat-SPANCAuteur : Patrick de Viviès

Il y a quelques mois, les médias calédoniens ont relayé les appels au secours de la Société protectrice des animaux de Nouvelle-Calédonie (SPANC) confrontée à un manque cruel de moyens, ne permettant pas d’assurer des conditions de vies decentes à leurs pensionnaires.

Nous avons porté notre objectif à quelques centaines de mètres de la SPANC, dans le squat  du même nom – appelé aussi squat du débarcadère – pour constater les conditions dans lesquelles y vivent nos concitoyens.

Route défoncée, subergée d’eau par temps de pluie.

route-défoncée-squatsEnfants arrivant boueux devant l’arrêt de bus pour le ramassage scolaire.

eau-de-pluieAbsence d’eau potable, contrairement à la plupart des squats voisins.

eau-dumbeaC’est au robinet -extérieur – situé sur la clôture de la station d’épuration de la commune que s’approvisionnent les squatters, après plus d’un kilomètres à pied ou en voiture.

 

Sinon c’est la récupération de l’eau de pluie.

squat-débarcadère

ordures-squatépaves-voituresPas d’organisation communautaire structurée, de responsable identifié, permettant de gérer en commun les problèmes de ce squat, le paiement d’une facture d’eau, la collecte des déchets.

Mangrove qui est à la fois garde manger et poubelle.

Habitat insalubre.

georges-lozachNous avons été accueilli par Georges Lozach, le plus ancien résident de ce squat qui rassemble une vingtaine de familles. Il est installé ici depuis près de 35 ans avec sa mère de 91 ans, sa femme, son frère, ses fils. Il indique avoir refusé toutes les offres de relogement du centre d’action social de la commune (CCAS), car il lui était refusé la possibilité d’être logé avec sa mère, qui ne supporterait pas d’être placée dans une maison de retraite.

 Entre 2000 et 2400 personnes, habitants permanents ou personnes hébergées, vivent dans un habitat précaire insalubre à Dumbéa, soit près de 10% de la population de la commune. Presque 8000 personnes sont concernées dans le Grand Nouméa(1). 100 familles nouvelles arriveraient chaque année dans les squats de l’agglomération(2).

Patrick de Viviès

(1)D’après le rapport TNS de 2008.

(2) D’après le rapport des journées de l’habitat 2007.

A lire également Une ville de plus en plus inégalitaire, un article des Nouvelles Calédoniennes du 26/02/09

P1020961Rencontre avec MALIA PUKO, responsable du squat « face Carrefour »P1020963

 La plupart des familles souhaitent pouvoir devenir propriétaire du terrain –appartenant aux FSH- qu’elles occupent sans titre, et que le quartier bénéficie d’un assainissement, comme l’avait demandé,il y a quelques années déjà,  Rose Naporapoé, responsable du squat de Kawati « côté palétuvier ».

 « Nous savons maintenant que cela n’est pas possible » précise lucide Malia, responsable du squat « côté Carrefour », qui rassemble 50 foyers soit environ 250 à 300 personnes. Les gens semblent tiraillés entre le désir d’accéder à un logement « avec de la lumière quand on appuie sur le bouton, de l’eau au robinet, des toilettes » et la crainte de perdre un style de vie, que la communauté soit « dispersée dans différents lotissements ». Et Malia précise « on est habitué à vivre avec les mélanésiens, on se respecte ».

P1020937Les habitants des squats voient les lotissements sociaux sortir de terre partout avec l’impression que ces logements ne sont pas pour eux. Ce sont « des gens qui viennent d’ailleurs, de Nouméa, du Mont-Dore, qui s’y installent » et eux, restent là. « Ce sont les squatters qui ont besoin d’un toit, le malade qui a besoin d’un médecin, pas le bien portant », constatant qu’il faut gagner plus de 150 000 F par mois pour accéder à l’habitat social.

P1020939 En voyant les immeubles avec appartements en locatif, beaucoup ont du mal à se voir vivre « enfermé, sans jardin pour planter le manioc, les ignames, le tarot ». Le jardin apporte un complément alimentaire important aux familles qui devraient sans cela acheter tout au magasin.

 « Payer un loyer toute sa vie pour ne rien avoir au bout ». Comme bien des Calédoniens, les squatters aspirent à pouvoir accéder à la propriété, par la location-vente, avec des loyers correspondant à leurs moyens.

P1020990En attendant, le prix de l’essence a beaucoup augmenté et faire tourner le groupe électrogène coûte le prix d’un loyer. L’été pour préserver la nourriture au congélateur, il faut faire tourner le groupe jour et nuit, ce qui coûte plus de 15 000 F par semaine.

P1030003Et les conditions de vie sont difficiles, « pour l’hygiène, les toilettes » précise un jeune. A l’entrée du squat, la collecte des ordures est en principe une fois par semaine. Mais « depuis la grève, cela fait plus d’un moins que personne n’est venu ramasser, et l’odeur est insupportable. » Des carcasses de voitures trainent ici et là, offrant d’accueillants gîtes larvaires aux moustiques vecteur de la dengue.

 Malgré ces conditions modestes, les familles font face avec une dignité qui invite au respect.

P1030009 Mais quand on demande à Malia ce qui faudrait faire en priorité pour améliorer leur vie quotidienne, elle répond sans hésiter « un abri bus pour que les enfants n’attendent plus le bus sous la pluie » et une remise en état des pistes défoncées du squat . 

 Souhaitons que la prière de Malia puisse être entendue.

P1020935

P1020991Pendant que la planète est frappée par une crise économique internationale sans précédent, la Nouvelle-Calédonie affiche une richesse par habitant parmi les plus élevée de la région après une croissance soutenue de près de cinq décennies.

P1020959Pendant ce temps là, un Calédonien sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté(1). A Dumbéa, d’après les données disponibles et dans l’attente des résultats du recensement en cours, plus de 10 % de la population vivrait dans un squat, c’est-à-dire dans un habitat précaire, souvent insalubre.

P1030024Dans le même temps, la classe moyenne a vu son pouvoir d’achat s’éroder alors qu’augmentent les prix et les profits. Il devient de plus en plus difficile pour de nombreuses familles de se loger. Plus de 40 % des Dumbéens vivraient dans un logement social, une notion qui recouvre toutefois des réalités très différentes. Il n’y a pas grand-chose en commun entre les lotissements résidentiels du FSH 6eme secteur par exemple, et les quartiers anciens et surpeuplés de la SICNC à Koutio.

P1030021Beaucoup de Calédoniens dont les deux conjoints travaillent sont contraint d’échanger quelques heures de trajet par jour contre la possibilité de devenir propriétaire d’une maison individuelle. Ils contribuent au développement des nouveaux quartiers résidentiels de Dumbéa et des autres communes de la périphérie nouméenne, illustrant le fait que l’augmentation du prix des terrains à Nouméa fait fuir des familles dont les revenus sont pourtant très honorables.

P1030016Ou sont donc passés les fruits de la croissance spectaculaire que les chiffres de l’économie calédonienne retracent ? C’est simple, moins de 20 % des foyers perçoivent à eux seuls 55 % de l’ensemble des revenus(1). La société calédonienne serait ainsi aussi inégalitaire que celle de l’Afrique du Sud(2).

Dans le contexte politique et institutionnel de l’Accord de Nouméa, on peut légitimement se demander si on parviendra à construire le destin commun en accroissant les inégalités. La recherche d’une répartition plus équilibrée des fruits de la croissance n’est pas seulement guidée par le souci d’une plus grande justice sociale.

Sans-titre-1

Les économistes mesurent la répartition des richesses créées entre salaires et profits (EBE). En Europe, 60 à 65% de la valeur ajoutée va au travail. En Nouvelle-Calédonie, c’est l’inverse et les déséquilibres se sont creusés pendant le boom de ces dernières années.

Les économistes savent bien que les répartitions déséquilibrées de la valeur ajoutée finissent par tuer la croissance. Car les entreprises, pour gagner de l’argent ont besoin de clients avec du pouvoir d’achat pour acheter ce qu’elles vendent.

Le modèle de développement sur lequel a fonctionné la Nouvelle-Calédonie est à bout de souffle et il est temps d’inventer un nouveau modèle, adapté au monde d’aujourd’hui.

Un tel changement ne peut naitre que d’un consensus entre les acteurs économiques, politiques, et sociaux du pays sur les objectifs à atteindre. En seront-ils capables ?

(1) Les défis de la croissance calédonienne, CEROM (2008)

(2) Olivier Sudrie, économiste, Conférence économique, 2 avril 2009

P1030019